Un article de Peter Grey et de Alkistis Dimech, paru sur le site de la Loge Horus-Maat
Traduction et adaptation personnelles.
Partie 1
Mais la guerre s'étendit encore bien au-delà de ça.
Je vous donnerai un exemple : en France, on décriminalisa le viol perpétré contre les femmes, tant qu'elles étaient des paysannes ou issues des classes populaires. Une telle division de la part des autorités aura des effets catastrophiques pour les deux sexes. Les femmes porteront les cicatrices et les stigmates sociales d'une violation officiellement légitimée - supposée apaisée la frustration sexuelle des hommes des basses classes. Les hommes, quant à eux, souffriront d'une rupture de la solidarité de classe, victimes d'une stratégie qui, au final, prétendra tout autant déterminer la sexualité masculine, à travers le contrôle de la sexualité des femmes. Ici, je citerai Sylvia Federici qui évoque ces faits choquants dans son livre "Caliban and the Witch" :
Traduction et adaptation personnelles.
Gustav Klimt, La Jeune Fille
Partie 1
Partie 2
L'image de Babalon au Moyen-Âge se manifeste à travers la Prostituée des Révélations, sa sensualité voluptueuse, sa beauté et sa richesse ostentatoires, dont on fit les symboles de la luxure et du péché. L'Europe, ravagée par la peste, se complaisait dans ces visions d'Apocalypse - en quête d'un salut qu'elle espérait trouver tout au long des quatre années de famines, de guerre et d'épidémie qui virent disparaître 50% de sa population. La scène était dressée pour l'apparition de la Femme, du Dragon, de la Bête et de l'Antéchrist.
L'image de Babalon au Moyen-Âge se manifeste à travers la Prostituée des Révélations, sa sensualité voluptueuse, sa beauté et sa richesse ostentatoires, dont on fit les symboles de la luxure et du péché. L'Europe, ravagée par la peste, se complaisait dans ces visions d'Apocalypse - en quête d'un salut qu'elle espérait trouver tout au long des quatre années de famines, de guerre et d'épidémie qui virent disparaître 50% de sa population. La scène était dressée pour l'apparition de la Femme, du Dragon, de la Bête et de l'Antéchrist.
La fin du monde était alors proche, comme se plaisaient à le proclamer des pamphlets populaires et des prêcheurs autoproclamés. Entre 1458 et 1650, le Livre des Révélations fut imprimé en 750 éditions. Son imagerie saturait la culture. Cet épanouissement macabre du christianisme apocalyptique ouvrit la voie à une oppression sexuelle encore plus forte - bien qu'il ait permis aussi la survie de la Déesse, sous une forme renouvelée et plus moderne.
L'histoire médiévale est une litanie sans fin de réduction et d'étouffement des pouvoirs féminins dans le monde. Les libertés que les femmes possédaient dans des sphères comme la médecine ou l'accouchement furent révoquées. Les sages-femmes et leurs décoctions de plantes devinrent suspectes ; l'alchimiste homme s'appropria la fonction de la maternité, tandis que les utérus des vraies femmes devenaient les propriétés des seigneurs féodaux.
Mais la guerre s'étendit encore bien au-delà de ça.
Je vous donnerai un exemple : en France, on décriminalisa le viol perpétré contre les femmes, tant qu'elles étaient des paysannes ou issues des classes populaires. Une telle division de la part des autorités aura des effets catastrophiques pour les deux sexes. Les femmes porteront les cicatrices et les stigmates sociales d'une violation officiellement légitimée - supposée apaisée la frustration sexuelle des hommes des basses classes. Les hommes, quant à eux, souffriront d'une rupture de la solidarité de classe, victimes d'une stratégie qui, au final, prétendra tout autant déterminer la sexualité masculine, à travers le contrôle de la sexualité des femmes. Ici, je citerai Sylvia Federici qui évoque ces faits choquants dans son livre "Caliban and the Witch" :
La légaliation du viol créa un climat d'intense misogynie qui dégrada toutes les femmes, peu importe leur classe sociale d'origine. La population se trouva également désensibilisée face aux violences faites aux femmes, préparant ainsi la chasse aux sorcières qui débuterait bientôt. C'est à la fin du 14ème siècle qu'eurent lieu les premiers procès en sorcellerie, et pour la première fois l'Inquisition enregistra l'existence d'une hérésie féminine et d'une secte d'adorateurs du Démon.
La diabolisation et le contrôle des femmes dans ce système féodal proto-capitaliste signifiait l'intention des classes dirigeantes de domestiquer tout le peuple ; c'est la femme en tant que telle, mais aussi en tant que mère, sœur, épouse, amante, camarade qui devait être défaite, afin de briser les forces de toute la communauté.
Ce processus de domestication a continué, ne concernant plus des vrais hommes et femmes, mais plutôt une masse passive de consommateurs aux yeux morts. C'est le sexe et la reconnaissance des différences qui ont le potentiel de rallumer nos flammes et de nous unir, de la même manière que le viol nous a divisé.
L'historien français Jules Michelet, qui s'est penché sur cette période avec la sensibilité propre au 19ème siècle, voyait dans la sorcière un symbole du peuple français. L'émergence d'un sentiment romantique et nationaliste dans la classe bourgeoise fit de la sorcière une icône pré-chrétienne et anti-chrétienne. Michelet, inspiré par Jacob Grimm et son livre "Deutsche Mythologie", a redoré le blason de la sorcière en tant que guérisseuse, sage femme et défenderesse du peuple - et en a fait la dépositaire d'une connaissance native et de traditions tout sauf perdues.
Ce processus de domestication a continué, ne concernant plus des vrais hommes et femmes, mais plutôt une masse passive de consommateurs aux yeux morts. C'est le sexe et la reconnaissance des différences qui ont le potentiel de rallumer nos flammes et de nous unir, de la même manière que le viol nous a divisé.
L'historien français Jules Michelet, qui s'est penché sur cette période avec la sensibilité propre au 19ème siècle, voyait dans la sorcière un symbole du peuple français. L'émergence d'un sentiment romantique et nationaliste dans la classe bourgeoise fit de la sorcière une icône pré-chrétienne et anti-chrétienne. Michelet, inspiré par Jacob Grimm et son livre "Deutsche Mythologie", a redoré le blason de la sorcière en tant que guérisseuse, sage femme et défenderesse du peuple - et en a fait la dépositaire d'une connaissance native et de traditions tout sauf perdues.
Il l'a aussi, spécifiquement et fictivement, identifiée avec la Révolution. Dans sa nouvelle "la Sorcière", il écrit :
Sous un tel système de répression aveugle, s'aventurer à proximité et s'aventurer loin est la même chose, et le risque est le même. Le danger qu'elles couraient faisait en même temps grandir la témérité des sorcières, et les conduisait à tout faire et à tout oser.
Michelet associe aussi explicitement le corps de la femme à la Révolution, et à l'espoir de retour au cycles naturels qu'elle incarne. Il écrit encore :
... le merveilleux monstre de la vie universelle a été avalé par elle ; à partir de là, la vie, la mort, toute chose est contenue dans ses entrailles, et c'est au prix d'un travail douloureux qu'elle a conçu la Nature.
Une image rappelant étrangement les gémissements de désir ou d'accouchement d'Ereshkigal aux Enfers.
Il est temps que la Sorcellerie se rappelle et lise à nouveau le travail de Michelet.
L'inversion et la révolution sont toutes deux inhérentes à la Sorcellerie. Ce qui, dans le microcosme, peut être trouvé dans le corps de la femme, se manifeste dans l'expérience vécue et partagée lors des Sabbats et de la Messe Noire. Michelet le reconnaît une nouvelle fois :
Au Sabbat des Sorcières, la femme remplit tous les rôles. Elle est prêtre, autel, et ostie consacrée... En dernier ressort, n'est-elle pas aussi le Dieu même du Sacrifice ?
Le rôle central de la Femme ne signifie pas l'exclusion du TOUT ; elle est plutôt celle qui unit toutes choses en ce TOUT. Grotte, chaudron, calice, utérus et chatte, et contient TOUT, et TOUT provient d'elle.
Ce qui distingue le Sabbat, ou plutôt la Messe Noire, de la Messe Chrétienne, ou de notre propre époque consumériste, c'est son inclusivité : un sens des festivités, de la licence, du flirt, de la danse, de l'abandon. C'est une communion dans la révolte, sous l'égide d'une prêtresse.
Remettant en cause le regard de l'homme et la logique en décrivant cette expérience féminine, Catherine Clément écrit dans "The Newly Born Woman" :
Le spectacle inversée, la célébration, dans laquelle tous participent, dans laquelle nul n'est voyeur, est le Sabbat.
Il est à remarquer que le Sabbat a lieu dans l'obscurité. Étant nocturne, il reste dépouillé de tout ce qui s'impose pendant la vie diurne - en particulier, les obligations sociales qui gouvernent la vie d'une femme.
Au Sabbat, cette dernière révèle des identités interdites, des aspects de sa nature sexuelle, telle une ménade ou une consort extatique des bêtes et des démons. En fait, le Sabbat est un descendant de rites secrets appelés orgia, d'où provient notre terme orgie, pratiqués dans les anciennes religions à Mystères - parfois exclusivement par les femmes. Ces orgia sont particulièrement associées à Dionysos, Cybèle et d'autres dieux pré-olympiens. Comme le Sabbat, leur objectif était de détruire les barrières entre le célébrant et la divinité, qui, dit-on, se manifeste lorsque l'état d'extase de l'adepte atteint son paroxysme.
L'orgie est une expérience typiquement féminine, en raison de la nature érotique et sexuelle de la femme. Sa libido, qui est cosmique, a le potentiel de plonger l'individu et la société dans une violente et extatique libération de la conscience.
Le corps ne peut se soumettre à la raison.
Notre chair est vivante et constamment changeante.
Un des futurs que je devine, en dépit de l'air du temps restrictif hégémonique, est la manifestation de femmes sans peurs, déraisonnables, qui mettront tout le monde en marche autour d'elles, et ouvriront la voie pour créer des communautés d'individus libérés.
Plus que tout, j'en appelle à un art révolutionnaire qui affaiblisse notre économie futile et vouée à la perte.
La Beauté au nom de la Beauté, la Beauté pour tous !
Car le sexe et la création sont liés de manière inextricable.
Souvenez-vous que le Sabbat est aussi un domaine de l'imaginaire, qu'on peut rejoindre à travers une stimulation érotique des sens. Ici se trouve l'inclination naturelle et propre à la femme de générer des fantasmes et du rêve, du mouvement et de l'émotion. C'est un état sacré, et réalisé avec l'énergie sexuelle.
On ne peut parler d'une sexualité féminine, uniforme, homogène, classable dans des codes - de même qu'on ne peut parler d'un inconscient ressemblant à un autre. L'imaginaire des femmes est sans limites, comme la musique, la peinture, l'écriture ; le flux de leurs fantasmes est incroyable.
Hélène Cixous, "Le rire de la Méduse"
Ce que nous pouvons voir, c'est que la Sorcellerie est constamment réimaginée et régénérée par le sang de chaque génération. Par de nouvelles voix. Par des femmes fortes, sexuellement indépendantes. Par vous, qui osez devenir la Sorcière que vous imaginez.
Il y a un besoin urgent de la Sorcellerie.
L'ennemi chrétien a été remplacé par un Corporatisme qui nous dit que la liberté est le droit de travailler comme des esclaves, qu'être une femme signifie se plier à la corvée incessante du shopping et du dégoût de soi. Que le viol de la planète est un business normal.
Comme la Déesse elle-même pourrait le dire : Fuck.
La Sorcière marche miraculeusement hors des flammes.
Le corps continue de parler.
La Prêtresse ne sera pas réduite au silence, l'oracle ne sera jamais contenu.
Les contours de la Sorcellerie ne sont jamais fixées.
Toute révolution sorcière est une révolution sexuelle.
Nous pouvons plonger loin dans les profondeurs des Enfers sumériens, dans les matriarcats de Margaret Murray, ou dans la Vieille Europe de Marija Gimbutas ; l'essence de la Sorcellerie se trouve encore et toujours dans le corps nu de la sorcière.
Là, maintenant. Dans nos corps, présents dans cette pièce, nus sous nos vêtements.
Dans nos visions, nos rites, en notre temps.
Dans notre désir de nous reconnecter au pouvoir brut de la Sorcellerie, au désir charnel, qui dans la femme est insatiable.
Textes cités et lectures recommandée
JACK PARSONS, "Freedom is a Two-Edged Sword"
DAVID GORDON WHITE, "The Kiss of the Yogini"
SYLVIA FEDERICI, "Caliban and the Witch"
JULES MICHELET, "La Sorcière"
DIANE WOLKSTEIN et SAMUEL KRAMER, "Inanna: Queen of Heaven and Earth, her stories and hymns from Sumer."
MARIJA GIMBUTAS, "Le langage de la Déesse"
CATHERINE CLEMENT et HELENE CIXOUS, "The Newly-Born Woman"
HELENE CIXOUS, "Le rire de la Méduse"
PENELOPE SHUTTLE & PETER REDGROVE, "The Wise Wound"
PETER REDGROVE, "The Black Goddess and the Sixth Sense"
PETER GREY, "The Red Goddess" ; "Seeing through Apocalypse" (essay from XVI, published by Scarlet Imprint)
ALKISTIS DIMECH, "Coup de Foudre" (essay from XVI)