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Raw Power - Sorcellerie, Babalon et sexualité féminine (Partie 2)

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Un article de Peter Grey et de Alkistis Dimech, paru sur le site de la Loge Horus-Maat
Traduction et adaptation personnelles.

Partie 1

Partie 3 à venir.



"LA DESCENTE D'INANNA

La suppression et le contrôle de la sexualité féminine n'est pas un phénomène nouveau. Certains documents écrits anciens, des textes de Mésopotamie remontant au 3 millénaire avant J-C comme "Inanna et l'arbre Huluppu" et "la Descente d'Inanna" montre que déjà, le corps de la femme était considéré avec une extrême ambivalence ; le sexe non procréatif, en particulier, était regardé avec soupçon et peur.

C'est à cette époque que nous découvrons pour la première fois les lilitu, les démons femelles qui contrôlaient les "vents violents" (qui apportaient la maladie) et volaient comme des oiseaux. Elles se définissaient par des caractéristiques sexuelles négatives : non mariées, et donc sous aucune domination masculine ; séductrices, cherchant activement des hommes pour les satisfaire ; et tueuses d'enfants. Les lilitu ne se contentent pas d'une sexualité non procréatrice, elles enlèvent et tuent les enfants, émasculent les hommes, provoquent des fausses couches et la mort des mères. Bien qu'en apparence exilées dans la nature sauvage, à l'extérieur du monde civilisé, elles sont capables de pénétrer les habitations humaines et la vie domestique. Nous les voyons se pencher par-dessus les ouvertures des fenêtres et des portes d'entrée - l'iconographie standard de la prostituée - et se glisser dans les maisons sans y être invitées. Elles sont les voleuses et les putains qui s'attaquent aux personnes civilisées et respectueuses de la loi, et qui sont au cœur même de la cité.

Cette même iconographie est utilisée pour la Déesse elle-même : Inanna - Ishtar. Elle se tient à la fenêtre, cherchant un homme à séduire, à aimer et à tuer. Inanna aussi s'affichait de manière provocante, initiant les contacts sexuels ; on l'appelait sahiratu, celle qui parcourt les rues. Dans les hymnes, il est écrit qu'elle va de maison en maison et de rue en rue, une phrase utilisée plus tard pour décrire les démons et répétée dans le Cantique des Cantiques, qui bien qu'il soit attribué à Salomon, est un copier/coller d'hymnes antérieurs à Inanna. Les lilitu ont inspiré le personnage de Lilith, délogée de l'arbre Huluppu pour rejoindre l'imaginaire juif comme archétype de la sexualité féminine insoumise et dangereuse. Dans le mythe juif, Lilith est la première femme d'Adam, qui refuse de prendre la position du missionnaire. C'est là que débute la généalogie de la sorcière, dont l'arbre s'enracine profondément dans l'ADN conflictuel de nos plus anciennes civilisations.

La déconnexion de la conscience chamanique de nos ancêtres s'est faite à travers la construction de cités fortifiées, de pyramides imitant l'émergence d'un ordre hiérarchique et d'une organisation patrilinéaire ; la montagne sacrée et la grotte sont devenues des bâtisses de briques brûlées ; la Prêtresse donnant au Roi le droit de gouverner l'Etat a été usurpée ; les histoires et les mythes de la Mésopotamie étaient déjà anciens lorsqu'ils furent imprimés dans l'argile, et nous pouvons deviner des éléments chamaniques ancestraux. Cela vaut le coup de se plonger dans le mythe de la descente d'Inanna, qu'on peut lire de plusieurs façons : comme une description de l'initiation de la Déesse et de la prêtresse, comme la description d'un culte à mystères, ou comme un drame relatant un rite de passage vers la maturité sexuelle. On peut aussi le lire comme une descente chamanique, une mise à l'épreuve, dans laquelle Inanna est forcée à chacune des portes des Enfers d'abandonner un des sept artefacts représentant son pouvoir terrestre, avant d'être conduite nue et rabaissée vers la salle du trône d'Ereshkigal.

Ereshkigal est la déesse du monde souterrain. Elle est, en un sens, l'esprit chthonien, pré-conscient, l'obscurité sans la moindre lumière ; la faim absolue et l'appétit. La dévoreuse par excellence.
De son domaine terrestre, Inanna entendit sa soeur Ereshkigal, pleurant son époux de manière ostentatoire - bien que le texte semble évoquer clairement des douleurs menstruelles, liées à l'accouchement ou des chaleurs - . Je crois que toutes ces explications sont plausibles et sous-entendues intentionnellement.

Aux sept portes des Enfers, Inanna est forcée de laisser tous ses attributs de pouvoir et de féminité. Elle est mise à nu contre son gré, dépouillée pour la confrontation finale avec sa sœur. Rappelons-nous que les initiations sorcières et chamaniques sont toujours des épreuves. Voici ce que décrit le texte :

Courbée très bas, nue,
dépouillée de ses pouvoirs divins, impuissante, matée,
Inanna est entrée dans la salle de trône.
Ereshkigal s'est levée de son trône.
Inanna s'approcha du trône

Les Annuna, juges du Monde Souterrain l'ont entourée.
Ils prononcèrent le jugement contre elle.

Alors Ereshkigal a jeté sur Inanna le regard de la mort.
Elle a porté contre elle le mot de la colère.
Elle a poussé contre elle le cri de la culpabilité.
 
Elle l'a frappée.

Inanna a été transformé en cadavre,
Un morceau de viande de décomposition,
Et a été pendue à un crochet au mur.

Inanna est pendue comme une pièce de viande dans une boucherie. Cette image de la Déesse pendue à un crochet évoque les suspensions rituelles, mais en nous penchant de manière approfondie sur cet élément, nous pouvons nous rendre compte que cet acte initiatique est une inversion. Lorsque la viande est accrochée, elle l'est généralement par les jambes, les pieds, afin que le sang puisse s'écouler depuis la gorge. Nous avons là un sacrifice chthonien, et simultanément, une représentation des menstruations. On pourrait aussi penser à une connexion avec la position du bébé au moment de la naissance. Une possible version antérieure aurait pu voir Inanna consommée par sa soeur (en sacrifice) avant de renaître d'elle. Ceci ne doit pas être simplement perçu comme une vision primitive ; des actes similaires réalisés par des "Mères" et d'autres figures féminines sont décrites dans les Tantras. Référez-vous au livre "The Kiss of the Yogini" de Davin Gordon White pour de nombreux parallèles et analyses complémentaires.

Inanna est sauvée des Enfers par l'intercession d'un autre chaman, Enki, qui envoient deux golems (un galatur et un kurgurra), faits de salive et de salissures d'ongles. Ereshkigal est alors réconfortée par eux dans sa douleur ; ils répètent ses cris, à la manière de pleureuses professionnelles. Nous pouvons même les considérer  comme des godemichés, le sexe étant réputé soulager les crampes menstruelles. Lisez "The Wise Wound" de Penelope Shuttle pour plus d'informations à ce sujet. Son travail, ainsi que celui de son époux, le poète Peter Redgrove, auteur de "The Black Goddess and the Sixth Sense", méritent de figurer sur toute "pile à lire" sorcière qui se respecte. 

Revenons-en à notre récit : soulagée, Ereshkigal propose au galatur et au kurgurra d'exaucer un de leurs souhaits. Ils réclament alors la dépouille d'Inanna, qu'ils ramènent à la vie avec la nourriture et l'eau de la vie. Elle retourne alors sur terre accompagnée de démons, qui s'empareront ensuite de son époux Tammuz pour l'emporter à la place de la Déesse aux Enfers.

En dehors d'une vie pour une vie, et d'une vie pour une mort, qu'est-ce qui a été échangé ici ?

En étant dépouillée de tout ce qui l'identifiait comme femme, prêtresse et reine, dans cet effacement total de son identité face à sa sœur, Inanna a gagné la connaissance d'elle-même. Elle s'est confrontée aux recoins obscurs du monde qui existent en dehors de son domaine (celui de la vie, de la lumière, de l'amour), et par cet acte de reconnaissance de l'autre, par ce sacrifice de sa personne, elle a gagné et intégré jusque dans sa chair la connaissance de l'obscurité d'Ereshkigal.

La sexualité n'est pas une force aveugle qui vous contrôle, mais un pouvoir qui peut être exercé en parfaite connaissance de cause. En termes psychologiques, on parlera d'intégration : la Déesse qui descend n'est pas celle qui remonte. Ereshkigal a offert à Inanna le pouvoir brut de sa sexualité. L'histoire s'achève : gloire à Ereshkigal !

L'utilisation consciente de la sexualité est traditionnellement le domaine de la prostituée, et Inanna était la déesse du sexe sacré et des prostituées, dont le répertoire de techniques incluaient les façons de provoquer ou d'empêcher une grossesse, les arts d'invoquer et d'évoquer le plaisir, et les arts du déguisement, de la transformation et de l'illusion. Tous ces savoirs s'acquièrent à travers une connaissance désinhibée de soi. Nous ne souhaitons pas glamouriser la vie de la prostituée, qu'elle soit ancienne ou moderne, mais elle reste un symbole de sexualité féminine indépendante dans une histoire humaine où la terreur de la chair a prévalu. Confiance, force, conscience : ce sont des cadeaux rares, avec lesquels nous naissons rarement, mais que nous pouvons arracher du noir miroir du monde souterrain.

La sorcellerie, comme la mise à l'épreuve d'Inanna, est une connaissance charnelle ; c'est une gnose vécue dans et à travers le corps.

Nous utilisons la structure mythique de la descente dans notre propre travail, retournant dans le "Grand En-Dessous" chaque année, pendant nos rites de Samhain. Sans la descente dans le monde souterrain, il ne peut y avoir d'envol vers le Sabbat. L'incubation, l'obscurité, la grotte, l'inconscient, c'est en ces lieux que nous trouvons et puisons le pouvoir de nous transformer, et de transformer notre monde. La sexualité et la créativité sont intrinsèquement liées, mais pour accéder à ces profondeurs primordiales et puissantes, nous devons aller encore plus loin, nous dépouiller de nos identités civilisées, et nous vider de tout verbe.

Ceci, nous le faisons au nom de Babalon.

Comme nous l'avons vu, la démone Lilith migre dans le judaïsme, comme le fait l'Eve coupable et démonisée. Inanna-Ishtar devient Astarté qui, avec son consort Baal, est dénoncée dans l'Ancien Testament, avant que Saint-Jean apporte sa touche finale au récit, et avec les pièges de l'Empire Romain, la renomme d'après le nom d'une vieille ennemie, Babylone.

C'est le Livre des Révélations, ainsi que l'hymne à la Déesse de l'Amour, le Cantique des Cantiques, qui ont transmis les réminiscences de la vieille religion jusqu'à notre époque post-païenne. Depuis ce temps, ces textes ont été mal lus, et surtout mal interprétés ; mais le mythe qui y a été conservé reste fondamental, et tout notre monde moderne s'organise toujours autour de lui."


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